Argumentaire d’exposition de la viewing room de Gopal Dagnogo présentée sur la plateforme en ligne Artsy
Par son univers inscrit dans la recherche et l’humour, Gopal Dagnogo laisse l’histoire et la douceur traverser le papier de ses œuvres. Les portraits d’inconnus, soigneusement cadrés à la naissance des épaules en deviennent des bustes de bronze, dialoguant avec les airs impériaux des dirigeants grecs et romains. Par les corps, les détails d’un regard, l’artiste convoque les courbes anguleuses du discobole de Myron jusqu’au contrapposto signée par Polyclète.
Les jeux de drapés y apportent une légèreté presque secrète où les notes d’ocre et de blancs sont bousculées par des tons vifs qui en marquent le fond. Le mouvement des chairs vient y servir le propos en appuyant la narration. Les annotations sur le fonctionnement des corps humains convoquent la science et pour l’artiste, analyser le vivant permettrait d’en comprendre l’intérieur. Une fois encore, c’est la couleur qui guide, qui définit la forme : elle apporte à ces corps immobiles une touche vibrante qui révèle les volumes en y creusant les contrastes de peau et de chairs disparues.
La présence des sciences appelle à l’analyse la plus précise, transformant les esquisses de Gopal Dagnogo en véritable dissection picturale. La compréhension des rouages humains est pourtant bien vite dépassée, révélant le besoin de créer de nouveaux êtres par l’hybridation avec des formes animales et végétales. Le travail des corps humains est épuré, limpide. Les ombres y sont hachurées, elles permettent d’appuyer le mouvement et les torsions de la matière : le réalisme n’est pas privilégié sur l’action même de représenter les sujets. Gopal Dagnogo se rapproche davantage de la technique de dessin de maquettes de construction et de recherche en produisant des esquisses qui semblent constituer un carnet d’observation du monde. La présence de certaines marques et d’objets comme des bouteilles, ou encore la reproduction d’un motif choisi à plusieurs reprises s’apparente à la méthode de production à la chaîne. L’industrialisation, une thématique très présente dans les œuvres de l’artiste se révèle alors. Ces études peuvent ainsi être perçues comme un laboratoire de création d’un ou de plusieurs produits dont l’humain et sa matérialité en est le centre. Le corps est donc réduit au rang de machine, s’exprimant au travers d’une mythologie contemporaine inscrite dans l’ère capitaliste.
Par la recherche anatomique, par les vestiges passés et les corps dénudés, Gopal Dagnogo construit une
narration énigmatique. Les annotations, les graphismes et les formes laissent une trace : elles induisent une nouvelle lecture des œuvres, comme un laboratoire d’images qui ne se laisserait saisir qu’à demi-mot. L’insertion de la mise en scène du graphisme fragmente la réalité. Elle apporte une existence sonore et fait exister le récit de manière visuelle et plastique. Le récit, témoin de la réalité par l’usage de différents procédés comme narration et la fiction, entre en dialogue avec les processus artistiques et de multiples données historiques et sociologiques du monde dans lequel nous vivons. L’agencement de ce récit visuel s’émancipe des contraintes littéraires et permet à l’artiste de partir à l’exploration des contradictions sociales par l’image érigée en référence de connaissances.
Les membres des individus sont parfois manquants, partiellement représentés ou alors totalement absents. Ce choix accompagne les postures souvent vives, de courses ou bien de fuites, qui entrent en opposition avec des corps qui se prélassent dans des poses de repos. Ces jeux de mouvement se rapprochent des constructions des phrases et des rythmes littéraires, se faisant parfois saccadés ou s’éternisant dans l’espace en y étirant le temps.
L’artiste y raconte l’histoire des dominations, de l’amour et des pouvoirs par des formes simples, chargées de références en y ajoutant un soupçon de subtilité qui s’inscrit dans la modernité de nos temps.
Lorry Besana